La stratégie des antilopes_Jean Hatzfeld

Publié le par Ilse

antilopesUn jour de mai 2003, 40 000 prisonniers Hutus, anciens tortionnaires du génocide rwandais, sont libérés après 7 ans d’emprisonnement devant les yeux ébahis de leurs voisins survivants Tutsis.
 
Les tueries, que l’auteur relate dans les deux précédents tomes de cette trilogie, Dans le nu de la vie et Une saison de machettes (le pire à lire), ont commencé le 11 avril 1994 juste après l’assassinat du président Juvénal Habyarimana.
Les témoignages d’Eugénie, Innocent ou encore Médiatrice nous plongent dans un cauchemar, leurs états de bêtes traquées, les stratagèmes dont ils doivent faire preuve sans jamais fléchir pour réussir à semer leurs poursuivants. Dans la forêt de Kayumba, sur 6000 personnes seulement une vingtaine en réchapperont.
 
La vie a depuis repris son cours : Médiatrice a pu poursuivre ses études, d’autres fonder une famille ou reprendre leurs commerces mais avec, on peut l’imaginer, un peu moins de motivation qu’auparavant. Parce que comme tout choc plus ou moins puissant, plus ou moins négatif que l’on peut traverser, il y a un avant et un après. Et surtout, plus jamais rien ne sera plus comme avant.
 
Témoignent également quelques Hutus, pas vraiment conscients de leur barbarie. Les Tutsis se trouvent finalement isolés puisqu’on ne recueille pas plus que cela leurs témoignages car il ne faut pas heurter les Hutus et réciproquement. Il leur est d’autant plus difficile de mettre des mots sur ce qu’il c’est passé.
 
« Le génocide a tué le sacré de la mort au Rwanda ».
 
Ainsi, nous entrons dans l’ère de l’illusion, des faux-semblants. Une politique de réconciliation est imposée, mais personne ne demande pardon.
 
Mon avis :
 
Difficile d’avoir un avis sur cette lecture puisqu’elle relate d’un fait bien réel, récent et de la pire barbarie qui soit. J’ai bien sûr beaucoup pensé à l’Holocauste et le tabou qui s’en est suivi : ne pas en parler pour ne pas heurter, ce qui me paraît révoltant. J’ai failli interrompre le livre en son milieu à cause de son côté trop sordide. Mais je découvre que malgré toute cette horreur, la vie reprend son cours, les enfants sont là, enchanteurs.
 
Néanmoins, cette nouvelle génération grandit sous le sceau du secret, du tabou. Les Hutus et les Tutsis peuvent difficilement nier ce passé sachant qu’ils se détestent. Une tension demeure. On dit souvent que les non-dits sont pires que tout…
 
C’est en tout cas un beau travail de journaliste qui patiemment recueille les témoignages des deux camps. L’auteur, d’origine juive, fait bien ressentir les similitudes avec la barbarie de la seconde guerre mondiale. Ce qui fait mal justement est qu’il semble qu’on n’en tire jamais de leçon. Ce génocide aurait pu être empêché. Mais durant ces sept semaines dehors, aux yeux de tous, des voisins ougandais entre-autres, de l’ONU, des responsables politiques qui savaient, 800 000 hommes, femmes et enfants ont été massacrés sans que personne ne bouge.
 
Triste réalité.
 
 
Extraits :
 
& « Au fond, qui parle de pardon ? Les Tutsis, les Hutus, les prisonniers libérés, leurs familles ? Aucun d’eux, ce sont les organisations humanitaires. Elles importent le pardon au Rwanda, et elles l’enveloppent de beaucoup de dollars pour nous convaincre. Il y a un Plan Pardon comme il y a un Plan Sida, avec des réunions de vulgarisation, des affiches, des petits présidents locaux, des Blancs très polis en tout-terrain turbo… »
 
& Parmi les nouveautés moins heureuses, citons les effigies du président de la République sur les ombrelles autrefois si multicolores qui protègent les vendeuses, les demoiselles soucieuses de leur teint ou les bébés accrochés dans le dos de leurs mamans ; les sacs à dos noir, véritables calamités esthétiques, et les monticules de tongs en plastique d’une épaisseur aussi disgracieuse que leurs couleurs fluo. Et enfin, des monceaux de fringues occidentales dites « second hand », récupérées à travers on ne sait quel trafic de donations charitables, revendues à des prix dérisoires qui menacent les métiers du tissu locaux.
 
& « D’un côté oui, nous étions fiers d’être tutsis parce que cela touchait à la noblesse, à la sobriété, à la hauteur d’une certaine façon. Les Tutsis se disaient plus élancés, mieux fignolés, plus rougeâtres, surtout les filles qui se voyaient toujours plus belles, même si elles se présentaient grosses et noirâtres. D’un côté non, nous nous sentions gênés, parce que nous étions exposés aux massacres, nous nous savions menacés d’une maligne façon, nous devions dissimuler cette fierté pour ne pas attiser les Hutus.
 
 
 
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Publié dans Vie à Lire moderne

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